vendredi 14 juillet 2017

De l'enterrement

Mercredi matin, mon frère et moi sommes allés préparer l'enterrement à la cure d'un village voisin.
Le jeune prêtre, originaire du Bénin, nous demanda de choisir des textes, des intentions, des prières, des chants, une ou des langues (chants en basque ou pas), l'évangile, et pour l'athée que je suis, et l'athée que me semble être mon frère, ce fut une sorte d'exercice de haute voltige, d'autant qu'il nous a présenté une plaquette où il n'y avait plus qu'à dire :"je prends la prière numéro 10, le chant 24, les intentions 12, l'évangile 3, etc.."
Trop simple..

Pour la première lecture je lui ai demandé s'il pouvait nous prêter une Bible pour que je relise le début de l'Ecclésiaste. Ce qu'il fit.
J'y cherchais le trop beau " Vanité des vanités, tout est vanité", mais dans la traduction qu'il me donna ça n'y était pas.
Mais quand même :
"Quel profit l’homme retire-t-il des peines qu’il se donne sous le soleil ? Une génération s’en va ; une génération lui succède ; la terre cependant reste à sa place. Le soleil se lève ; le soleil se couche ; puis il regagne en hâte le point où il doit se lever de nouveau. Tantôt soufflant vers le sud, ensuite passant au nord, le vent tourne, tourne sans cesse, et revient éternellement sur les cercles qu’il a déjà tracés. Tous les fleuves se jettent dans la mer, et la mer ne regorge pas, et les fleuves reviennent au lieu d’où ils coulent pour couler encore. Tout est difficile à expliquer ; l’homme ne peut rendre compte de rien ; l’œil ne se rassasie pas à force de voir ; l’oreille ne se remplit pas à force d’entendre. Ce qui a été, c’est ce qui sera ; ce qui est arrivé arrivera encore. Rien de nouveau sous le soleil. Quand on vous dit de quelque chose : « Venez voir, c’est du neuf », n’en croyez rien ; la chose dont il s’agit a déjà existé dans les siècles qui nous ont précédés. Les hommes d’autrefois n’ont plus chez nous de mémoire ; les hommes de l’avenir n’en laisseront pas davantage chez ceux qui viendront après eux."
C'était exactement le genre de texte que je souhaitais : le temps passe, inexorable, et nous sommes sans illusion sur notre destin.
Mon père l'était...
J'ai eu l'impression que le prêtre ne connaissait pas ce passage de ses saintes écritures et il m'a fait remarquer au moment de nous séparer que je l'avais étonné.
Mais l'heure était à savoir qui le lirait. Peut-être la fille de mon frère? On verrait...

Puis ce fut le moment de choisir l'évangile. Je voulais relire le passage sur les pèlerins d’Emmaüs où ceux-ci disent « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. », qui pour moi marque l'esprit de solidarité et est fondateur du mouvement d'Emmaüs, mais  cette seule phrase, importante à mes yeux, noyée dans le reste, disparaîtrait à la lecture. Nous avons donc choisi un texte plus basique non sans avoir remarqué que cet évangile sur les pèlerins d’Emmaüs figurait dans le panel des choix proposés dans la plaquette.

Pour les intentions, ou prière universelle je crois, nous avons choisi parmi les trois retenues celle où nous prions pour les  malades et les handicapés et pour ceux qui s'en occupent, ce qui fut, sans le faire exprès, particulièrement opportun,  car un cousin a sa femme atteinte de la maladie de Charcot, une des pires maladies qui soit, chose que je n'avais pas en tête à ce moment là.

Et puis vint la question de savoir si on chanterait le Notre Père en français ou en basque. Nous fûmes unanimes : en français. Mon père avait crisé en allant à la messe quand il est arrivé ici il y a cinquante ans. Plus de la moitié de l'office était dit en basque et il s'était senti rejeté jusque dans ses croyances. Il avait été voir le curé pour essayer de faire augmenter la part du français, il avait été jusqu'à couper des pièces en deux pour n'en donner que la moitié à la quête, ne voulant participer que pour la partie qu'il comprenait, mais rien n'y fit. Il finit par ne plus y aller. Nous avons raconté tout cela au prêtre pour qu'il comprenne nos raisons, ce qu'il fit..

Pour résumer le reste de l'entretien de préparation, le prêtre nous demanda notre avis sur une foultitude de détails, musique d'entrée  (ah bon, il y aura de l'orgue!) , musique de sortie, y aura-t-il des communiants ou pas, veilleuses posées par les enfants sur le cercueil, que fait-on de la quête, etc...

Au moment de nous quitter il nous proposa de réciter une prière et je lui dis alors que j'étais non croyant, mais que j'allais m'associer à lui. Il a dit sa prière et nous l'avons accompagné en baissant la tête...

L'après midi je suis allé avec ma nièce, remplacer ses parents pour une veille au funérarium où mon père était exposé dans son cercueil..

Hier matin je me suis vêtu de sombre avec une cravate. L'office était assez tôt. La famille était presque au complet à part ma fille qui était à New York et n'avait pu rentrer.

Un peu avant l'office, le prêtre est revenu à la charge pour les chants en basque. Mon frère a donné son accord parce qu'il fallait quand même faire plaisir à l'organiste et aux participants et moi le mien en lui répondant que puisque mon père allait être enterré en terre basque, il n'avait qu'à se mettre à l'apprendre et qu'il avait désormais toute l'éternité pour cela.

Le premier voisin  qu'on n'avait pas prévenu, mon frère m'assurant qu'il était mort, était là selon la tradition, à 91 ans,  et a ouvert, en portant la croix, la courte procession entre le corbillard et l'église dans laquelle nous sommes entrés sur l'air de la sarabande de Haendel jouée à l'orgue.

Si l'extérieur de la petite église du village où habitait mon père est totalement dépouillé et d'un blanc immaculé, l'intérieur est carrément remarquable dont un magnifique retable du 18e siècle classé monument historique. J'ai pensé que passer par là  pour être enterré était un véritable  privilège.

Tout fut à la hauteur des lieux. Musique, chants, sermon. Tous les détails que nous avions mis au point la veille prirent place dans le déroulé de l'office. Il n'y manqua aucun coup d'encensoir, aucune goutte d'eau bénite, aucune prière, le Notre Père fut bellement chanté en basque par une partie de l'assistance d'une trentaine de personnes, certains communièrent.... 

Tous les rituels accomplis, nous sommes allés au cimetière où mon père repose désormais auprès de ma mère.

J'ai remercié le prêtre en l'assurant que cette cérémonie m'avait apaisé. J'ai même récité quelques prières pour faire, une fois encore, plaisir à mon père, mais en pensant tout de même qu'il n'aurait jamais pu imaginer, lui le quidam quelque peu raciste parfois, que sa messe d'enterrement serait magnifiquement célébrée par un noir....

L'après midi, rencontre avec les amis, la famille, les invités autour d'un buffet. Plaisir de voir des cousins, et cousines, des neveux et nièces, des enfants, des proches, de partager des histoires, des anecdotes, des rires, des souvenirs...

Une belle journée...




1 commentaire:

  1. Merci de nous associer à ces journées si paisibles. Tu nous fais un cadeau apprécié.

    Quant à "Vanité des vanités...", il s'agit du deuxième verset du chap 1 de l'Ecclésiaste (ou Qohélet). Le texte original dit à peu près: "Fumée de fumées, dit Qohélet; fumée de fumées, tout est fumée." La Bible de Jérusalem traduit: "Vanité des vanités, dit Qohélet; vanité des vanités, tout est vanité." La Bible des écrivains francophones (Bayard) propose: "Vanité dit Qohélet/ hével havalim/ Hével dit Qohélet/ tout est vain."

    La fiction littéraire identifie l'orateur (Qohélet) au fils de David, soit le roi Salomon.

    RépondreSupprimer