Deux autres personnages de " l'histoire de la famille "
"...Le samedi onze juin il faisait vraiment très beau. Comment ne pas être comblé par cette plénitude du temps qui vous assaille d’un coup, avec ces odeurs de soir tranquille, ces chants d’oiseaux, ces frémissements dans les herbes, ces cliquetis dans les feuilles au moindre souffle d’air, ce son lointain venant d’un clocher ?
Les herbes que je n’avais pas eu le courage de couper étaient montées en graines et envahissaient le jardin que j’avais laissé à l’abandon et qui se transformait de la sorte en n’importe quoi. Adieu les belles allées et les semis tirés au cordeau !
Ma vie, comparée à ce que fut le potager, était devenue comme ces herbes folles qui envahissaient tout, désordonnées, montant en épis et se reproduisant par la simple chute des graines.
Cependant mes enfants étaient bien, eux aussi, des parcelles de ce fouillis, et non des moindres . Je les avais récupérés à midi, à la sortie de l’école, pour la première fois depuis la séparation et ils devaient rester avec moi jusqu’au soir.
J’avais fait mon papa poule en préparant un « bon repas », mais ils n’ont voulu rien manger, rien du tout. Je n’ai pas cherché à savoir pourquoi, les privant peut-être d’un affrontement qu’ils avaient préparé à l’avance, mais ces moments avec mes enfants seraient désormais trop rares pour que je les gâche avec de quelconques querelles.
Dès qu‘ils eurent signifié qu'il refusaient l’entrée, puis le plat de résistance, puis le dessert, je les ai libérés pour qu’ils aillent jouer : la séance d’échanges muets avait assez duré.
Mon fils est allé dans sa cabane avec son petit copain de la maison d’à côté, tandis que ma fille est allé rejoindre une copine d’une maison plus haut.
Je me suis retrouvé seul devant mon repas.
J’ai décidé alors que je mangerai de bon appétit. Je me devais d’avoir confiance dans l’avenir, de ne pas me décourager, et de ne pas me laisser abattre : les enfants finiraient bien par revenir, le ventre affamé. Je suis allé chercher une bouteille dans la cave, l’ai ouverte et ai commencé le festin, mêlant un peu tout, parce que tout était étalé en abondance sur la table.
Je me suis ensuite allongé sur la terrasse dans un transat, écoutant Sun Radio et guettant leur retour.
Mais j’avais fait un mauvais calcul. J’ai attendu vainement qu’ils aient faim, et quand ils sont revenu à la fin de leurs jeux, vers le soir, avec la pointe d’un sourire de satisfaction, ils m’ont tout de suite appris qu’ils s’étaient fait nourrir chez les parents de leurs camarades.
Je leur ai répondu que j’ espérais qu’ils ne m’avaient pas fait passer pour un père indigne, ce qui les a amusé et a finalement détendu l’atmosphère.
Ils se sont rendus compte qu’ils étaient peut-être allés un peu loin et sont rentrés dans la cuisine pour réclamer le dessert que je leur ai donné avec plaisir.
Ils se mirent alors à causer et à me raconter les événements saillants de l’après midi qu’ils venaient de passer.
L’heure du retour convenu avec Aline approchait.
J’avais consacré la plus grande partie de l'après midi à les attendre, et maintenant ils allaient repartir : l’avenir de mes relations avec mes enfants ne s’annonçait pas rose du tout et serait difficile. Mais que faire de mieux que d’être patient ?
Quand ce fut le moment, je les ai ramenés. Durant le trajet ils n’ont pas arrêté de chahuter. Aline, quand elle les a vu, les a jaugé d’un coup d’œil, et ne constatant ni vêtement déchiré, ni ecchymose, en a conclu que ma garde avait été vigilante et paternelle et a lancé aux enfants avec un sourire: « alors, ça s’est bien passé ? ». Ils ont répondu en chœur « oui Maman ! »"
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