Je suis arrivé hier à la maison de retraite juste quand mon père envisageait d'aller se promener après avoir pris la petite collation qui, servie vers quinze heures, fait sortir les résidents de leur chambre et les rassemble pour un semblant de vie sociale : certains, affalés dans leur fauteuils roulants, dorment, les alzheimer continuent leurs errances, tandis que la plupart des autres restent assis à leur table en silence attendant que le temps passe tandis qu'un phono serine des chansons des années 40-50.
Mon père qui a toute sa tête, qui parait dix ans de moins que son âge, mais qui ne voit plus qu'un monde d'ombres, cause beaucoup dès qu'il trouve un interlocuteur. Je l'ai trouvé en grande conversation avec un petit monsieur, ancien navigant de l'armée de l'air dont je situerais l'âge entre 85 et 90 ans.
Il m'invita à les suivre dans leur petit périple le long de la mer qui n'est qu'à quelques centaines de mètres de la maison de retraite.
Le petit monsieur s’élança à tout petits pas, avec son sac, sa paille de plage et sa serviette, mon père plus assuré avec sa canne,
Nous descendîmes lentement vers la mer par le petit chemin que j'empruntais enfant quand je venais en vacances. Mêmes rambardes, mêmes plantations, mêmes rochers , mais un peu plus loin la plage de G. avait presque entièrement disparu, rongée par l'océan. Arrivant cette fois à marée haute je m'aperçus qu'il n'étais plus possible de s'y installer: plus un seul mètre carré de sable qui n'était pas recouvert par l'eau. Pourtant la buvette était toujours là et un couple s'était même installé pour boire du champagne. Que fêtaient -ils? Pendant que je rêvassais au passé enfoui sous les vagues, mon père et son ami partaient dans la direction opposée vers le petit port constitué essentiellement par un plan incliné sur lequel on treuille les bateaux à l'aide d'un câble.
Je les ai rattrapés en quelques pas et nous avons croisé quelques pécheurs à la ligne en poursuivant notre chemin. L'un d'entre-eux avait pris une petite dorade, certainement une adolescente suicidaire un peu esseulée.
Et toujours à petits pas, traversant le plan incliné, le petit monsieur rejoignit la petite plage du port protégée par une courte digue. J'eus la surprise de le voir se déshabiller pour prendre un bain. Mon père me raconta qu'il faillit se noyer il y a peu de temps et ne se souvenant de rien, il s'était réveillé à l'hôpital où il était resté une semaine. Mais la leçon ne lui avait sans doute pas servi puisqu'il entra dans l'eau, mais pas plus haut que la taille..
Je l'ai surveillé pendant quelques instants, puis voyant que tout allait bien, je suis allé discuter avec un pécheur et, faisant mon malin, je lui ai parlé de mon arrière grand-père qui avait exercé là, bien avant, pendant et un peu après la dernière guerre.
Mon père s'était assis un peu plus loin. Je suis allé le retrouver. Il me rappela pour la nième fois qu'il avait vu Hitler passant dans un train juste au dessus du port où nous nous trouvions pour se rendre à Hendaye où il rencontra Franco. Les actualité allemandes de l'époque m'ont confirmé que mon père n'avait pas rêvé car on y voit Hitler à la fenêtre de son wagon jusque comme il passe à cet endroit.
Au bout d'un moment où nous avons parlé de tout et de rien, j'ai demandé à mon père ce qu'il voulait faire. Il voulait rentrer. Pouvait-on laisser le petit monsieur? "Oui. il reste une ou deux heures à la plage, puis il revient en faisant du stop, car il n'arrive pas à remonter la côte à pied".
Nous avons fermé notre boucle tranquillement, retour au point de départ, avec une pause à mi-côte sur un banc très opportun. Petite balade sympa....