Je rends visite à mon père, dans sa maison de retraite, tous les deux jours environ.
Hier, puisqu'il faisait beau, il était installé dehors, sous les platanes taillés vifs et qui n'avaient pas encore fait leurs ramures qui ombrent cet espace l'été. Il était en compagnie de Madame L., en chaise puisqu'elle perd l'équilibre et tombe sans cesse, plongée dans ses sempiternels mots fléchés. Petite conversation. Virent se joindre à nous Madame R. qui rentrait de sa promenade à la terrasse face à l'ouest, d'où l'on contemple si bien l'océan et ses fabuleux couchers de soleil, et un monsieur en visite qui vient voir sa femme deux fois par jour, laquelle, semi comateuse, est alitée en permanence et a une fin de vie de légume.
Mon père 91 ans, bientôt 92, madame L. vers les 85 ans, madame R. 90 ans et le monsieur dans les 87ans....
Si je sais que madame R a 90 ans, c'est qu'elle l'a dit: "née à Noël 1921". Dans leurs conversations, les anciens finissent toujours par dire l'âge qu'ils ont: c'est en quelque sorte leur titre de gloire, une fierté, le signe évident qu'ils ont su sur-vivre. Ils en veulent de la reconnaissance et du respect et ils forment une sorte d'aristocratie à l'âge dans la maison de retraite. Mon père, plus vieux qu'elle, l'a tout aussitôt fait savoir.
Ils embellissent aussi totalement le réel. Mon père, par exemple, raconte que j'ai un immeuble à B., ce que je me sens obligé de rectifier quand je l'entends, la réalité étant beaucoup, beaucoup plus modeste. De même, nous a confié hier Madame R, son mari dans sa jeunesse à Chamonix, fut compagnon de cordée de, de, de, de,..., "mais oui, celui qui a vaincu l'Anapurna", dont le nom ne m'est pas revenu, non plus, sur le coup, mais je l'avais sur le bout de la langue. ( Maurice Herzog ). Faut-il croire cela?
Il n'en demeure pas moins que j'avais connu le mari de Madame R. et madame R. elle-même quand j'étais un jeune garçon de huit ans. C'est même lui qui m'a appris à nager. Mes souvenirs revinrent à la surface. Madame R était une femme pulpeuse aux seins généreux qui passait l'été à surveiller le club des " Canards et Dauphins", à prendre les inscriptions et à gérer sa petite affaire, à l'ombre dans une tente orange située à l'extrémité de la rangée de tentes carrées en toile basque que louaient mon grand oncle et sa femme sur la plage située un peu plus loin en contrebas. Peut-être surveillait elle aussi son mari souvent entouré d'une nuée de belles filles, moniteur du club que son père déjà âgé, qui s'occupait alors des tout petits, avait créé avant guerre. ...
Une vie quasi familiale sur cette plage. Quelques belles fortunes y avaient à l'époque leurs habitudes . Ma grand tante vendait des glaces et des boissons et passait tout l'été face à la mer. Elle avait ses fidèles: "Je vous mets comme l'an dernier à côté des B... qui vont arriver dans une semaine?". Elle voyait pousser les enfants, sujet inépuisable de conversations et de confidences, les jeunes adolescents venant souvent s'épancher et parler de leurs petits malheurs.
Une année, je m'étais fais un ami dont je me souviens encore du nom: Alain Barbier... Je me souviens aussi d'un chanteur d'opéra de Toulouse que mon grand oncle avait invité sur sa petite terrasse. Je fus à l'époque tout étonné qu'un tel métier pût exister...
La conversation vira de bord. Je ne sais plus exactement quel en fut le point de départ mais j'entrepris le sujet de la construction des navires en bois à partir des chênaies séculaires. Peut-être mon père s'était-il vanté (péché véniel) d'avoir été faire de l'abattage d'arbres dans la forêt de Tronçais, énumérant à un moment la quantité de métiers qu'il avait faits dans sa vie... L'homme qui était en visite fut tout d'un coup très intéressé. Il avait été certificateur et contrôleur de navires et en la matière c'était une pointure. Je l'avais déjà entendu nous parler des bateaux de mes grands-oncles, dont il se souvenait parfaitement, et de bien d'autres bateaux. C'est tout naturellement que nous en vîmes à évoquer l'Hermione, non sans un certain plaisir de ma part quand j'ai constaté que mon père n'en avait jamais entendu parler et qu'il était obligé de laisser filer la conversation sans pouvoir y mettre son grain de sel.
D'Hermione en Hermione , le monsieur en visite se demanda à un moment pourquoi on avait fait appel aux hollandais pour construire des cuves à placer à l'intérieur de la cale. Première nouvelle pour moi. Il promit de se renseigner là dessus, me demanda si je le reverrai encore avant mon départ, oui, samedi, et il parti voir sa femme.
Peu de temps après, je rentrais chez moi....
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