lundi 13 mars 2006

Madeleine

En 2010...

"Le soir tombait lentement. Je restais assis sur mon banc. J’avais vécu une semaine sans nom et je méritais bien cette pose. J’étais seul, bien seul, face à l’océan, mais au moins il s’agitait, roulait, râlait, grondait, me parlait. Les nuages s’effaçaient pour me laisser voir les derniers éclats du soleil, colorant du même coup toute une partie des immensités océaniques. Les rayons dorés allaient peindre les murs blancs d’Itxasoan ancien casino de Guéthary, faisaient un clin d’œil depuis le fort de Socoa qu’on pouvait maintenant deviner au loin depuis qu’un rai venait de l’éclairer, et se perdaient là bas au loin sur les hauteurs des Trois Couronnes.

Le vent emmenait les nuages, refermait cette trouée céleste et noircissait d’un coup ce bas monde qui frissonnait sous les froideurs de la pluie cinglante. Les fougères et les ajoncs, qui avaient poussé sur toute la face osée de la falaise qui luttait depuis tant de siècles contre les harcèlements de la mer, tremblaient tout d’un coup sous les bourrasques. Le soir brusquement devenait sinistre, effrayant et laissait deviner une nuit terrible, faite de rafales de vent, de pluies incessantes, d’assauts répétés des vagues, d’incertitudes, de malaises et d’angoisses.

Mais l’instant d’après le soleil, plus bas sur l’horizon, faisait une réapparition éclatante, allait appliquer des touches vives sur les maisons de Bidart et rendre un bel hommage à la Madeleine en sa chapelle. Ce n’était plus alors que promesses d’un lendemain de douceur où les passages nuageux tempèreraient l’ardeur solaire pendant qu’un vent tranquille viendrait faire onduler la végétation sauvage qui tapissait le bord de mer.

L’océan me parlait, m’envoyait les premiers cris de joie des hardis navigateurs qui découvraient une terre nouvelle, les derniers messages des marins naufragés, les fatigues des rameurs des traînières harassés par leurs efforts, les inquiétudes des mousses à leur premier voyage, la joie des pécheurs basques après un harponnage de baleine…

J’imaginais de l’autre côté de l’immense étendue marine, les villes d’Amérique, juste en face de moi dans la direction de l’ouest. Le soleil, qui se couchait ici, était glorieux là bas. De l’autre côté de la terre, dans la mer de Chine c’était au contraire la nuit, mais le jour allait bientôt s’y lever. J’attendais avec impatience un message de ces pays lointains.

J’ai scruté les flots et j’ai cru apercevoir un point blanc vers l’horizon. Qu’était-ce ? Mais la nuit est rapidement tombée : je l’ai perdu de vue. Je suis resté sur mon banc tandis que la brise se calmait. Au pied de la falaise la mer chantait toujours son immuable opéra. Le vent finit par tomber complètement et sur la voûte du ciel je pus voir par intermittence le premier quartier de la lune au milieu des étoiles quand les nuages me faisaient la grâce de s’écarter un peu.

Ce qui m’a manqué à ce moment là ce sont les quatre rayons du phare de Biarritz qui découpaient chaque nuit le ciel dans leur rotation régulière et les scintillements des lumières de la côte qui traçaient la ligne qui séparait la terre de la mer: le monde n’était plus, et je n’étais plus guère…Mais l’océan et ses espérances était toujours là.

Ma combinaison en cuir était complètement imbibée de pluie. Je me mis à frissonner. Je suis rentré me coucher.

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